Monday 23 February 2009

VÉGÉTAUX NATURALISÉS A HYÈRES

Aux plantes exotiques déjà si nombreuses qui ont été naturalisées à Hyères, par les soins des amateurs et des horticulteurs, une expérience qui date de plus de quinze ans [1862 - 15 = 1847]permet d'ajouter aujourd'hui le Palmier de la Chine méridionale (Livistona sinensis), beaucoup plus grand que celui de la Chine centrale ou de Chang-Haï (Chamaerops excelsa), et qu'on désigne encore très-improprement, dans beaucoup de catalogues, sous le nom de Latania borbónica. A notre connaissance, il en existe deux, déjà très-beaux, sur le territoire de la ville d'Hyères; l'un dans le jardin de M. Denys, l'autre dans celui de M. Rantonnet. Ce dernier, qui est le plus âgé, est aussi le plus grand. D'après une communication qui nous a été faite récemment par MM. Huber frères, horticulteurs à Hyères, il aurait en ce moment plus de 2 mètres de tige. Abrité par un mur, à l'exposition du midi, il a résisté à tous les hivers. Si l'on tient compte du fait que, sur la côte méridionale de la Chine, le thermomètre s'abaisse parfois en janvier, mais toujours momentanément, jusqu'à zéro, la naturalisation du Livistona de ce pays sur les points les plus abrités de la Provence n'a rien qui doive beaucoup surprendre. Il serait intéressant de multiplier les essais afin de reconnaître jusqu'à quelle limite cette culture peut s'étendre. A priori on peut conjecturer qu'elle ne s'écarterait guère du littoral. Cette espèce est, du reste, en pleine prospérité à Alger.

MM. Huber nous annoncent en même temps l'introduction, dans leurs cultures de quelques autres plantes exotiques, plus que la précédente à la portée du commun des amateurs. L'une d'elles est le Lotus australis, de la Nouvelle-Hollande. C'est un sous-arbuste de 0m.30 à 0m.40, à fleurs lilas pourpre, touffu, très-florifère, hautement ornemental sous le ciel lumineux du Midi, et également propre à la culture en pleine terre et en pots. Sa petite taille, qui permet de l'abriter sous un châssis, le fera certainement adopter par les amateurs du Nord. Il en sera de même du Cuphea Galeottiana, autre sous-arbuste du Mexique à corolle d'un pourpre si foncé qu'elle en paraitnoire. Ce joli buisson, qui s'élève à Om.50 ou un peu plus, est aussi de pleine terre en Provence. A plus forte raison en sera-t-il ainsi du Zinnia mexicana, qui garnit en ce moment de ses jolis capitules orangés les plates-bandes du même jardin, et que sa qualité de plante herbacée et annuelle ne tardera sans doute pas à faire entrer dans les nôtres.

Outre les exemplaires de ces trois plantes, MM. Huber nous ont encore envoyé de nombreux échantillons d'un nouvel Œillet, qu'ils nous disent avoir été obtenu par fécondation croisée dans leur établissement. Ce serait le produit du Dianthus superbus ' fécondé par l'Œillet du Japon (Dianthus ja- ponicus), ce que nous n'avons aucune raison de mettre en doute, quelques hybrides ayant déjà été signalés dans le genre des Œillets. Dans tous les cas, hybride ou non, la plante est fort belle et déjà riche en variétés, toutes dignes d'entrer dans la décoration de nos parterres. La corolle y est d'une bonne grandeur, sans lacune entre les pétales qui se joignent par leurs bords et qui sont laciniés à leur extrémité. Les teintes varient, suivant les individus, du blanc pur au pourpre foncé, auxquels s'ajoutent des macules ou mouchetures également variées de tons et d'étendue.

Enfin, il y a quelques jours seulement, nous avons reçu de MM. Huber un nouvel envoi, et, cette fois, d'une plante tout à fait hors ligne, le Jacaranda mimosxfoliat arbuste du Brésil bien connu des amateurs de plantes de serre chaude, et renommé pour l'élégance de son feuillage, comparable à celui des Mimosees les plus gracieuses, et plus encore pour la beauté de ses fleurs. Le Jacaranda tient une place d'honneur dans l'horticulture brésilienne, et il y est l'ornement obligé de tous les jardins. Sous nos tristes climats du Nord, il faut se - contenter de le voir en serre chaude, et encore fort rabougri et ne fleurissant qu'à de rares intervalles ; il en est tout autrement à Hyères, où il semble avoir trouvé l'équivalent de son'climat natal. Il y a six ans, un tout jeune pied de ce Jacaranda fut planté par MM. Huber en pleine terre et sans aucun abri; il prospéra si bien que déjà en 1861, il se mit à fleurir, quoique faiblement.

Cette année, dès le commencement de juin, il se couvrit de ses magnifiques fleurs bleu-violacé, et cette floraison, à en juger par le nombre des panicules sans cesse renaissantes, semble devoir durer encore un mois 'entier. En ce moment l'arbuste est haut de 3 mètres, et si beau de forme, de feuillage et de fleurs, qu'on regrette de le savoir si loin de nos amateurs parisiens.

Quoique inférieur au Jacaranda, comme arbre d'ornement, le Lophostemon australe, Myrtacée de la Nouvelle-Hollande, est bien digne encore des honneurs de la culture sous le ciel du Midi. Un jeune pied, planté il y a six ans par MM. Huber, est aujourd'hui un très-bel arbuste de 3 mètres, au feuillage épais et fleurissant avec luxe. Ses fleurs toutes blanches, et qui ne sont pas sans grâce, rappellent, par la forme et la grandeur, celles des Callistémons et des Mélaleucas; mais ce qui lui donne surtout du pris, sous un climat chaud et sec, c'est son feuillage d'un vert foncé, grand, ferme et touffu, presque semblable à celui du Laurier de Portugal. Dans le midi dt l'Europe, les arbres et arbustes de la Nouvelle-Hollande semblent devoir être, plus que tous
les autres, les ornements persistante des jardins ; ce seront les Evergreens de ces climats, où ils viennent du reste tout aussi bien que sous le leur.

Nous l'avons dit plus d'une fois et nous le répétons encore, le midi méditerranéen de la France deviendra, quand on le voudra sérieusement, le principal foyer de l'horticulture continentale ; mais pour que ses des tinées s'accomplissent, il faut qu'il renonce à copier servilement le jardinage de pays moins avantageusement situés. Son climat si différent à tant d'égards de celui de Paris, lui commande d'autres procédés et l'emploi d'autres plantes. Si la variété est une des principales conditions de l'agrément d'un simple parterre, la multiformité de l'horticulture prise dans son ensemble, c'est- à-dire sa diversité d'aspects et de caractères avec les lieux et les climats, devient aussi pour elle le principal élément de l'intérêt qu'elle inspire. Non omnis fert omnia tellus, a dit un ancien : à chaque climat et a chaque lieu ses plantes particulières et ses méthodes ; c'est une vérité de tous les temps et qui doit être la règle fondamentale de tout horticulteur.

Naudin.
Revue horticole: journal d'horticulture practique
Edição de Librairie Agricole de la Maison Rustique, 1862, p.272-3

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